christine gendre-bergère

l’atelier

Un atelier à soi                                                         

Les Portes ouvertes sont un moment à part dans la vie de l’atelier. Il faut le ranger, le rendre présentable, pouvoir y circuler. Une opération qui s’anticipe. Une bonne quinzaine de jours avant la date fixée il faut trier, classer, choisir. Et redécouvrir le travail accompli depuis les Portes ouvertes précédentes. Pas mal, quand même ! Ces Portes ouvertes ont lieu tous les six mois. Pour un week-end, l’atelier se transforme alors en lieu d’exposition, en galerie.

C’est l’occasion de rencontrer des aficionados, ils reviennent, fouillent dans les cartons, discutent des nouveautés, achètent. D’autres découvrent, regardent, s’informent. Certains n’osent pas poser de questions, de peur de paraître ignorant sans doute. Gravure, estampe, eau-forte, taille-douce, tarlatane, livres d’artiste… tout un idiome étranger. C’est peut-être un premier contact et il ne ressemble à rien d’autre.

Ces jours-là, Christine explique avec beaucoup de volubilité, raconte, parle de ses sujets de prédilection, de ce qui l’inspire, d’une prochaine exposition, de la suite gravée qui est en cours, de la possibilité d’imprimer des états successifs et d’ajouter un détail, de modifier le fond, de noircir un vêtement – pas vraiment des repentirs comme disent les peintres, plutôt un perfectionnement, un ultime travail de finition-. Je me dis que cette volubilité compense sans doute les longs moments de silence, seule devant une plaque de cuivre à entailler ou gratter le vernis pour atteindre le cuivre en dessous, là où l’acide, puis l’encre viendront se loger.

J’ai souvent droit à la présentation de la première impression de la gravure définitive, à peine sortie de la presse lorsqu’elle vient d’être posée sur les buvards qui absorberont l’humidité du papier. Je reste étonné, bluffé devrais-je écrire, par l’expressivité, l’exactitude, des portraits et des regards. Au fil des années j’ai appris à donner mon avis, mon sentiment plutôt. Sans excès de prudence ni excès d’éloge. Reste à savoir comment jouer avec les superpositions dont Christine a fait petit à petit sa marque, mais c’est un autre sujet. Revenons à l’atelier.

L’atelier a été construit à la place d’un garage à voiture il y a une bonne dizaine d’années. François et Alexandre, nos voisins architectes ont proposé cette mutation. En creusant d’un bon mètre, puis en surélevant d’un mètre cinquante, ils ont créé deux niveaux là où il n’y en avait qu’un seul. Ce quasi doublement de la surface a permis de trouver une place pour tout le matériel. En bas, la (grande) presse, le bac à acide, l’encre, les éviers, les buvards et le séchage. En haut l’établi, une vaste planche dont le bois travaille avec l’hygrométrie. La lumière des vastes fenêtres est complétée par des spots suspendus à un câble. Un siège haut, façon dessinateur plutôt que bar, sert d’assise.

Il est construit entièrement en bois, l’extérieur est revêtu d’un bardage en mélèze qui se colore avec le temps. Habitués des grands projets architecturaux, François et Alexandre pensaient avoir réalisé un meuble posé dans notre cour, du côté opposé à notre habitation. Il est chaleureux, mais ce n’est pas une bonbonnière, un cocon. Juste ce qu’il faut pour s’y sentir chez soi et donner libre cours à son imagination, sa créativité, son art. Un atelier à soi, pour paraphraser Virginia Woolf.

Jean-Marie Bergère